Retours des acteurs de terrain
sur la différenciation pédagogique
Afin de construire le programme de la conférence de consensus au plus près des attentes des acteurs de terrain, le Cnesco et l’Institut français de l’éducation (Ifé/ENS de Lyon) ont sollicité les acteurs de terrain via un questionnaire en ligne pour mieux connaître leurs interrogations sur la différenciation pédagogique mais également leurs pratiques au quotidien et les besoins qu’ils rencontrent en la matière. Près d’une centaine de répondants (enseignants, chefs d’établissement, inspecteurs…), répartis dans 22 académies, ont renseigné le questionnaire.
Les interrogations des acteurs de terrain
Les répondants se questionnent sur la façon dont ils doivent organiser en amont la différenciation pédagogique (cibler les difficultés des élèves, en identifier les origines, choisir les outils à mobiliser, choisir les tâches à proposer aux élèves, limiter le caractère chronophage de la préparation…). Ils s’interrogent également sur les différentes formes que la différenciation pédagogique peut prendre : doit-on constituer des groupes d’élèves et comment, quelles formes de différenciation pour quel âge, quels niveaux, quelles disciplines ? Comment organiser le travail en petits groupes ? Quelle place donner au numérique ? Les répondants s’interrogent aussi sur le partage du temps entre les différentes phases (temps collectifs, individuels, en petits groupes…) et entre les élèves.
Ils s’interrogent aussi sur les stratégies pédagogiques qu’ils peuvent utiliser : comment développer l’attention des élèves et quel est le rôle de la différenciation pédagogique dans ce processus ? Comment motiver les élèves pour s’engager dans l’activité et faire perdurer cette motivation ? Comment faire travailler en autonomie tous les élèves en même temps, même ceux qui sont peu intéressés ou peu motivés ? Quelle place donner à l’entrée par les compétences dans la différenciation pédagogique ? Comment conserver l’unité du groupe classe en différenciant et en créant des plans de travail personnalisés ?
Des problématiques se posent après une phase de différenciation pédagogique, notamment sur la reprise du travail en classe entière après des travaux différents, sur l’évaluation après la différenciation, ou encore sur l’exploitation des retours faits par les élèves suite à leur activité. Comment permettre aux élèves de s’autoévaluer ? Comment valoriser les progrès des élèves ?
Les répondants se questionnent sur les effets de la différenciation pédagogique :
- sur les apprentissages des élèves et en particulier sur les inégalités scolaires (en les diminuant et non pas en les creusant) ; sur la possibilité d’atteindre des objectifs communs (examens ou socle commun) en différenciant ;
- sur la socialisation des élèves (impact sur le climat de classe et le climat scolaire, valeurs véhiculées par la différenciation, capacités à s’intégrer des élèves, coopération accrue entre élèves, sentiment de justice…) ;
- sur l’estime de soi et la motivation des élèves (Comment ne pas isoler les élèves ? Comment valoriser les élèves dans leurs différences d’apprentissages et les aider à relativiser leurs échecs ? Comment motiver les élèves au profil de « décrocheurs » ? Comment faire pour que la différenciation pédagogique ne stigmatise pas les élèves ? Comment la différenciation peut-elle accroître la motivation des élèves ?) ;
-
sur l’autonomie des élèves.
Les répondants s’interrogent aussi sur la communication autour de la différenciation pédagogique, tant auprès des élèves (ceux qui sont en situation de réussite et donc habitués à avancer seuls rapidement comme leurs camarades qui sont plus en difficulté) que des autres partenaires éducatifs (parents, collègues enseignants, autres collaborateurs…).
Le regard extérieur est questionné sur la façon dont il est possible de combattre l’idée selon laquelle la différenciation pédagogique diminue le niveau d’exigence, sur la façon de montrer aux parents que la différenciation pédagogique est une pratique équitable, qui permettra aux élèves d’apprendre mieux, de les associer à ces pratiques, que la différenciation pédagogique ne signifie pas que leur enfant est en échec, et sur la façon de rendre lisibles aux parents les dispositifs de différenciation pédagogique.
Les répondants s’interrogent sur la façon d’aider les enseignants à opérationnaliser, sur l’efficacité d’une étude de cas en formation, et sur la façon de réussir à changer le regard enseignant sur la différenciation, et enfin, sur le changement de posture des enseignants.
Des questions se posent au niveau de la coopération entre acteurs, notamment sur la pérennisation des actions de différenciation pédagogique au sein d’une école ou d’un établissement (à un même niveau de scolarité ou à des niveaux différents), la création d’une démarche d’équipe, et la motivation des collègues et autres acteurs de l’éducation à intégrer un processus de différenciation pédagogique.
Les répondants se questionnent aussi sur la pertinence de mettre en place une différenciation en classe entière et sur la liberté laissée aux chefs d’établissement en termes d’expérimentation et d’innovation.
Enfin, les répondants s’interrogent sur la place de la différenciation pédagogique dans d’autres pays que la France.
Les pratiques déclarées de différenciation pédagogique
Les répondants déclarent former des groupes ponctuels d’élèves, sous différentes formes (en binômes ou par groupes plus importants) ; mettre en place des groupes d’entraide ou du tutorat ; différencier les outils (fiches de vocabulaires, utilisation de dictionnaires, outils de complexification…), les supports (papier, vidéo, numérique, textes à trous…), le temps alloué à l’élève à l’activité, les entrées (corporelle, mentale, contextualisée ou décontextualisée, recours à des réponses erronées pour arriver à un résultat correct, travail sur plusieurs chapitres en même temps pour varier les compétences demandées…) et le degré de complexité et d’autonomie de la tâche ; organiser différemment le travail selon les envies des élèves, leurs retours ou les informations recueillies durant la classe. Les enseignants disent également installer une complexification progressive des tâches, mettre en place des classes inversées et s’inspirer de divers mouvements pédagogiques, et utiliser le numérique. Enfin, certains enseignants déclarent organiser spatialement la classe différemment.
Aux côtés des phases d’apprentissage, les enseignants déclarent différencier les modalités d’évaluation : ainsi, ils proposent du temps supplémentaire à certains élèves, des supports d’aides, des exercices supplémentaires, des exercices à difficulté progressive au cours de l’année scolaire, des évaluations sommatives (bilans) ou des autoévaluations, et fixent leurs attentes en dialogue avec la classe.
Certains des répondants évoquent des publics particuliers au sein de la classe, comme les élèves allophones, les enfants de familles du voyage ou scolarisés en ULIS. Les répondants évoluant face à ces élèves déclarent mettre en place des dispositifs spécifiques : mise en place d’activités partant du vécu des élèves, groupes de travail de 7 à 8 élèves, parfois hétérogènes et parfois homogènes, intégration des cours dans des projets de classe ou départementaux, utilisation de méthodes d’apprentissage particulières de la lecture, de codes couleurs et de phonèmes, …
Beaucoup de répondants relient également la différenciation pédagogique à des dispositifs spécifiques, parfois hors de la classe, comme l’accompagnement personnalisé (où sont mis en place une pédagogie par projet ainsi que des ateliers), le PPRE (Programme personnalisé de réussite éducative), les plans d’accompagnement personnalisés, les APC (Activités pédagogiques complémentaires), les EPI (Enseignements pratiques et interdisciplinaires), ou encore les formations à publics mixtes (lycées généraux, technologiques et professionnels).
Les répondants citent leurs actions en matière de travail en équipe : travail en binôme au sein de la classe (notamment dans le cadre du dispositif « Plus de maîtres que de classes ») ; travail en coopération avec du personnel ressource spécialisé, notamment pour les élèves à Besoins éducations particuliers (BEP), pour créer des plans spécifiques de travail dans et hors de la classe ; harmonisation des outils et contenus au sein d’un cycle entre enseignants ; travail en interdisciplinarité.
Les besoins pour la mise en place de la différenciation pédagogique
Les répondants sont nombreux à déclarer avoir besoin de ressources supplémentaires pour mettre en place davantage de différenciation pédagogique. Ils citent ainsi les outils numériques (ordinateurs, tableaux interactifs, accès internet…), mais aussi le mobilier (tables à roulettes pour faciliter la création de petits groupes par exemple), et le matériel pédagogique (cubes, pâte à modeler, banque d’activités, fiches, manuels…). Les répondants sont également nombreux à estimer que la taille des classes entrave la mise en place de la différenciation pédagogique. Ils évoquent aussi la possibilité de disposer de la même salle entre deux cours (au collège) et la mise à disposition de lieux indépendants pour certaines activités spécifiques.
Beaucoup de répondants évoquent leurs besoins en aide surnuméraire au sein de l’école (personnel spécialisé et personnel informatique) et au sein de la classe. D’autres, moins nombreux, citent aussi leur besoins en temps supplémentaire pour préparer les séances et dialoguer avec leurs collègues, dans un niveau de scolarité comme dans un cycle, afin de mettre en place des ressources et d’obtenir des retours sur les pratiques efficaces. Certains citent également le besoin d’une meilleure collaboration avec les RASED.
Enfin, de façon plus rare, sont cités le besoin de reconnaissance institutionnelle pour les enseignants fortement impliqués dans des pratiques de différenciation pédagogique et la mise en valeur de leur travail de façon formelle s’il s’avère positif pour les apprentissages des élèves (rémunération, avancement, constat écrit d’un inspecteur…).
Les répondants citent le besoin de formations prenant appui sur les expériences et les besoins des enseignants (pour analyser des situations en cours, ou regroupant des échanges et des observations entre pairs) ; qui prennent en compte des classes « non-ordinaires » et leurs finalités ; sur les différents troubles des élèves à besoins éducatifs particuliers (profils « dys », TSA, TSL, TDHA, hyperactivité, troubles du comportement, précocités, élèves primo-arrivants…) ; sur les outils disponibles selon les matières (manuels, logiciels…). D’autres demandent également des stages centrés sur les résultats de la recherche scientifique, sur des méthodes pédagogiques particulières, sur le travail en groupes, et sur l’évaluation dans le cadre de la différenciation. Enfin, certains soulignent la nécessité de formations en équipe.