TIMSS : éclairage du Cnesco sur les mathématiques au primaire

En 2015, le Cnesco a organisé une conférence de consensus, en partenariat avec l’Ifé/ENS de Lyon, sur l’apprentissage des mathématiques au primaire. Le Cnesco avait alors pu dresser un constat alarmant sur le niveau des élèves français en mathématiques en fin d’école primaire. Les résultats de l’enquête internationale TIMSS 2015, sur les élèves de CM1, viennent conforter et élargir le constat réalisé il y a un an par le Cnesco.

Diagnostic

Si les difficultés des élèves français, dès l’école primaire, étaient déjà partiellement connues, la dimension internationale de l’enquête TIMSS met en évidence un niveau très faible en mathématiques par rapport aux autres pays de l’OCDE participant à l’enquête. La France obtient le score moyen le plus faible des 26 pays de l’OCDE, juste devant le Chili. Seule la Nouvelle-Zélande obtient un score significativement comparable à celui de la France.

L’enquête montre que 42 % des élèves français ont un niveau faible ou très faible, contre 25 % en moyenne dans les pays participant à l’enquête. Cela signifie que ces élèves possèdent, au mieux, certaines connaissances de base en mathématiques mais ne sont pas en mesure d’appliquer ces connaissances dans des situations simples. En ce sens, cette enquête internationale vient conforter les résultats de l’enquête nationale CEDRE, réalisée par le ministère de l’Éducation nationale, sur les élèves en fin d’école primaire.

Cette contre-performance se retrouve également pour les meilleurs élèves, dont la proportion est nettement plus faible en France que dans les autres pays de l’OCDE participant à l’enquête.

Ces performances se retrouvent aussi bien au niveau des filles que des garçons, avec une différence globale significative légèrement en défaveur des filles. Ce constat confirme celui observé sur les enquêtes PISA et CEDRE (fin d’école et fin de collège).

Les difficultés scolaires en mathématiques se retrouvent particulièrement dans les écoles qui concentrent les publics les plus défavorisés socialement et celles qui regroupent une majorité d’élèves dont la langue maternelle n’est pas le français. Pour chacune de ces deux catégories d’établissement, le score moyen en France est parmi les plus faibles des pays de l’OCDE participant à l’enquête.

En ce qui concerne les contenus testés, les résultats des élèves français apparaissent particulièrement plus faibles sur les questions portant sur les nombres et le calcul et sur la gestion de données (lecture et interprétation de tableaux et graphiques).

Par exemple, les élèves français apparaissent particulièrement contreperformants sur des problèmes intégrant des opérations de décimaux (exemple : 1,87+3,29) ou sur des questions portant sur des suites logiques de nombres (exemple : 6, 13, 20, 27, ?).

Ces éléments sont en lien avec les difficultés des élèves, en fin d’école primaire, identifiées par le Cnesco à l’occasion de la conférence de consensus sur la numération : sens des nombres, connaissances des tables de multiplication, maîtrise des fractions et des décimaux, travail sur les opérations écrites et opérations avec décimaux.

L’enquête interroge également la satisfaction professionnelle des enseignants. Dans l’ensemble des pays participants, 52 % des enseignants s’estiment très satisfaits d’exercer leur métier, alors qu’ils ne sont que 30 % en France.

Contrairement à la grande majorité des pays de l’OCDE, les ordinateurs sont très peu utilisés en France dans l’enseignement des mathématiques. Seuls 19 % des élèves français peuvent avoir accès à un ordinateur pendant une séance de mathématiques.

Sur toutes les dimensions de la formation continue en mathématiques (formation au programme scolaire en mathématiques, à la didactique, à l’intégration des nouvelles technologies dans les mathématiques, aux évaluations en mathématiques, etc.) les enseignants français ont eu accès, sur la période 2013-2015, à des formations beaucoup moins fréquentes sur les enseignants des autres pays participants à l’enquête. 

Pistes d'interprétation des résultats

80 % des enseignants du primaire n’ont pas suivi un cursus scientifique dans l’enseignement supérieur. Seuls 2 % ont suivi des études supérieures en mathématiques (rapport IGEN 2006). Ces enseignants, non scientifiques, n’ont pas toujours la maîtrise de tous les savoirs mathématiques théoriques qui sont impliqués dans les programmes scolaires.

Le profil non scientifique des lauréats des concours de professeurs des écoles semble peu pris en compte dans les maquettes de master métiers de l’enseignement, de l’Éducation et de la formation (MEEF), qui consacrent souvent un nombre d’heures important en 1re année (préparation du concours) mais offrent ensuite aux futurs enseignants une préparation professionnalisante faible en mathématiques. Cette caractéristique des enseignants français du 1er degré n’est pas ensuite assez intégrée dans des plans de formation continue ambitieux en mathématiques.

Comme l’avait mis en évidence le rapport du Cnesco pour la conférence de novembre 2015, les manuels scolaires de mathématiques à l’école primaire offrent une forte disparité dans leurs contenus et leur organisation, avec une offre prépondérante de « fichiers » (cahiers d’exercices formatés) jusqu’au CE2. Par exemple, en 2015, un manuel de CM1 introduisait les fractions en octobre et leur consacrait 8 séances, alors qu’un autre manuel les introduisait en février et leur consacrait 21 séances.

L’utilisation des « fichiers » favorise l’abus d’exercices très formels voire stéréotypés, (rapport IGEN 2010). Les questions de prise en compte des cheminements diversifiés des apprentissages des élèves, du temps d’apprentissage, de la structuration des connaissances sont également posées à travers cette utilisation (rapport Cnesco, 2015 ; IGEN, 2013).

Même si le temps d’enseignement lié à l’enseignement des mathématiques au primaire a régressé sur les deux dernières décennies, la comparaison internationale des temps d’enseignement prescrits dans les programmes scolaires présentés par TIMSS montrent que la France fait partie des pays proposant un nombre d’heures d’enseignement des mathématiques le plus conséquent. Cependant, certaines recherches, qu’il faudrait actualiser, ont pu montrer de fortes variations dans le temps alloué aux mathématiques selon les enseignants (Suchaut, 1996 ; Arnoux, 2004 ; rapport IGEN 2010).

Malgré des progrès récents, les enseignements doivent encore davantage intégrer des dimensions centrales dans l’apprentissage des mathématiques (Cnesco, 2015 ; IGEN, 2015) :

  • enrichissement des pratiques en calcul mental ;
  • assimilation d’automatisme et apprentissage des faits numériques (tables d’addition, de multiplication) ;
  • enseignement des stratégies de résolution de problèmes encore trop marginal et peu structuré ;
  • enseignement sur la gestion des données encore peu développé.

Les rapports d’inspection sur les enseignements portent davantage sur une analyse pédagogique que sur une analyse didactique, ce qui révèle également un défaut de formation chez les inspecteurs (rapport IGEN 2006). À noter : la création du réseau d’Inspecteurs de l’Éducation nationale – Chargés de mission départementaux en mathématiques.

Les changements de programmes sont fréquents et peu évalués quant à leurs effets sur les apprentissages des élèves. Les évaluations nationales, disparues en 2013, n’ont été prolongées que partiellement par des initiatives départementales ou académiques ou par la mise à disposition d’une banque de questions accessibles en ligne pour le CE1. Les difficultés des élèves identifiées en fin d’école primaire (notamment sur les fractions et les décimaux) ne font pas l’objet d’un suivi particulier qui permettrait de mieux articuler le travail en cycle 3 sur les nombres et le calcul.

Préconisations du Cnesco

À l’occasion de ces différents travaux, sur la numération au primaire (novembre 2015) et sur les inégalités sociales à l’école (septembre 2016), le Cnesco a produit des préconisations concrètes visant à améliorer les apprentissages des élèves en mathématiques à l’école primaire :

  • Mettre en place un grand plan de formation en « calcul mental » et « stratégie de résolution de problème » et en évaluer les effets. Renforcer la formation en mathématiques pour les professeurs du dispositif « Plus de maîtres que de classes ».
  • Intégrer, dans chaque circonscription, des conseillers pédagogiques en mathématiques, spécialement formés en didactique des mathématiques, pour accompagner les enseignants.
  • Développer l’expérimentation du « professeur des apprentissages fondamentaux », formé notamment en pédagogie et en didactique des mathématiques, pour suivre un même groupe d’élèves du CP au CE2.
  • Mettre en place, dans chaque école ou réseau d’écoles, un « enseignant ressources » en mathématiques, membre de l’équipe pédagogique existante, qui aura suivi une spécialisation en mathématiques en Espé ou une certification en formation continue.
  • Mettre en œuvre une politique d’évaluation des pratiques enseignantes afin de valoriser les pratiques qui fonctionnent. Réintroduire des évaluations externes des élèves en réorientant la conception et l’usage sur le diagnostic des difficultés des élèves et la formation des enseignants.
  • Former et outiller les éducateurs investis dans les activités périscolaires liées à la réforme des rythmes avec des jeux éducatifs en mathématiques, en collaboration avec les enseignants de l’école.
  • Éditer un livret de jeux ludiques avec les mathématiques, distribué aux parents d’élèves (jeux simples à la portée de toutes les familles).
  • Allouer à chaque école un budget pour l’achat de matériel pédagogique en mathématiques, pour permettre plus de manipulations par les élèves.
  • De façon générale, prolonger le travail sur les nouveaux programmes avec des scénarios d’enseignement, des matériaux d’évaluation et des critères de réussite des élèves.