Recommandations
du jury de la conférence


Des recommandations pour une différenciation pédagogique efficace
orientée vers la réussite de tous les élèves

Les recommandations ont été rédigées par le jury de la conférence de consensus Cnesco-Ifé/ENS de Lyon sur la différenciation pédagogique qui s’est tenue les 7 et 8 mars 2017 (Lycée Diderot, Paris). Le jury est constitué de 18 acteurs de terrain (enseignants, chefs d’établissement, conseillers pédagogiques, inspecteurs, formateurs…) et est présidé par l’universitaire Marie Toullec-Théry.

Les recommandations du jury se concentrent sur la différenciation pédagogique et rappellent que les différentes formes de différenciation structurelle (redoublement, classes ségrégatives…) ne sont pas efficaces, au regard des résultats de la recherche. Ces recommandations portent sur l’enseignement obligatoire (école, collège) mais peuvent également éclairer les pratiques mises en œuvre dans les lycées. Elles soulignent le fait qu’il n’existe pas une seule « recette pédagogique » efficace, mais un panel de pratiques pédagogiques que l’enseignant doit être en mesure d’adapter aux situations d’apprentissage et aux élèves.

Principes généraux pour faire réussir tous les élèves

Un temps d’apprentissage ajusté aux rythmes d’apprentissage des élèves

Aucun élève ne progresse à la même vitesse mais chacun doit avoir accès aux savoirs essentiels, cruciaux. Cela passe par une réorganisation du temps d’enseignement et/ou par une préparation des élèves en amont du cours.

Un rapport adéquat entre l’élève et l’école

La logique de l’école doit rencontrer la logique de l’enfant pour faire évoluer son univers de référence (fondé sur son environnement familial, culturel et social). Les situations d’apprentissage doivent conduire les élèves à passer de leurs représentations « premières » sur le monde, issues de leurs perceptions et de leurs expériences, à des connaissances scolaires. Il faut partir de ce que les élèves savent et de la façon dont ils pensent le monde pour les amener vers de nouveaux savoirs et compétences.

Un environnement structuré, avec des aides et des repères

Plus un élève est loin des savoirs scolaires, plus il a besoin d’être guidé de façon structurée dans ses apprentissages : énoncé clair des objectifs de l’enseignement, synthèses régulières, retours aux consignes, bilan de ce qui a été appris… Par exemple, des problèmes déjà résolus peuvent être présentés aux élèves afin de leur faire exprimer ce qu’ils comprennent des procédures mises en œuvre.

Des situations d’apprentissage limitant les informations inutiles

Une tâche qui véhicule trop d’informations, dont certaines inutiles, peut entraîner des difficultés chez certains élèves. Les enseignants peuvent épurer certains documents, notamment numériques, pour centrer les élèves sur les enjeux principaux de l’apprentissage.

Pratiques enseignantes

Un enseignant, dans sa classe, doit être en mesure de faire varier ses pratiques, afin de s’adapter à la diversité de ses élèves, tout en maintenant des objectifs communs et des temps d’apprentissage collectifs. Cela suppose une maîtrise des contenus enseignés, une évaluation fine et régulière des savoirs des élèves et la mise en place de routines dans les classes.

La différenciation pédagogique ne signifie pas la différenciation des objectifs pédagogiques qui conduit à un creusement des inégalités scolaires. Ainsi, l’entraînement des élèves sur des tâches à automatiser est nécessaire mais ne doit pas faire perdre de vue les habiletés de plus haut niveau pour tous les élèves. Une baisse du niveau d’exigence est contre-productive pour la réussite des élèves. Il s’agit alors de proposer une palette diversifiée de manières d’arriver au résultat, sans pour autant abaisser le niveau des tâches demandées.

La différenciation ne signifie pas la fin de l’enseignement en classe entière. La conduite de séances collectives n’est pas contradictoire avec la prise en compte des singularités des élèves. Ainsi, en classe entière, les enseignants peuvent récolter les différentes méthodes proposées par les élèves, de la plus simple à la plus complexe, et les exposer à la classe. Chaque élève peut repérer où il en est et identifier des méthodes plus expertes proches de la sienne.

Les élèves doivent être amenés, régulièrement, à expliciter leur cheminement, pour rendre objectif  ce qu’ils ont appris, en utilisant un langage adapté. Leur enseignant doit les accompagner dans cette phase. Cela suppose qu’il fasse des retours précis à chaque élève sur ses progrès et sur les nouveaux objectifs qui lui sont fixés.

L’exemple 
La table d’appui : un espace d’aide est matérialisé dans la classe ; les élèves sont amenés à y expliciter leur démarche à voix haute et à écouter celle des autres, en présence de l’enseignant.

Les enseignants doivent permettre aux élèves de formuler eux-mêmes les critères de réussite des tâches qu’ils ont à accomplir. Il s’agit de construire, avec les élèves, une grille progressive et claire des buts visés. Cela leur donne un appui pour repérer ce qui est essentiel et accroît leur sentiment de compétence.

Les apprentissages doivent s’appuyer sur un ensemble cohérent de situations de classe variées, toutes nécessaires (phase d’entraînement, phase de résolution de problèmes, phase de bilan…). La recherche montre que les approches laissant trop de liberté aux élèves ne sont pas les plus efficaces notamment pour les élèves qui rencontrent le plus de difficultés scolaires.

Les enseignants doivent penser que la différenciation peut intervenir à plusieurs moments d’une séquence pédagogique avec des intentions variées.

  • Avant l’enseignement : réactiver les connaissances, identifier la nature de ce qui est déjà appris ou encore fragile pour chaque élève, préparer la tâche en fournissant des clés d’accès vers ce qui suit ;

  • Pendant l’enseignement : soutenir l’apprentissage, aménager la tâche en la rendant accessible, évaluer le cheminement cognitif de chaque élève via une analyse de ses acquis et de ses erreurs ;
  • Après l’enseignement : exercer, revoir ce qui n’a pas été compris, vérifier l’autonomie acquise par l’élève sur les objets d’apprentissage.

La recherche a montré que les élèves qui réussissent adoptent une variété de postures dans leurs apprentissages, et notamment, pour les plus avancés, des postures réflexives et créatives. Pour arriver à ce résultat, les enseignants doivent eux-mêmes adopter une variété de postures d’enseignement : posture de contrôle (cadrage d’une situation), posture d’accompagnement (aide ponctuelle, individuelle ou collective)… En faisant varier leurs propres postures, les enseignants encouragent les élèves à recourir, eux aussi, à une large palette de postures.

Le travail individuel des élèves, réalisé à la maison, ne doit pas comporter de difficultés majeures mais se concentrer sur le renforcement de ce que les élèves savent déjà. Les devoirs donnés aux élèves doivent être à leur portée.

Dispositifs dans la classe

La différenciation pédagogique peut passer par une réorganisation de la classe. Les dispositifs proposés aux élèves doivent être variés et souples. Ils doivent favoriser les interactions entre l’enseignant et ses élèves d’une part, et entre les élèves d’autre part. Ils peuvent aussi s’appuyer sur la présence de deux enseignants intervenant ensemble ou séparément dans la même classe.

Les travaux de groupes et/ou les travaux individuels permettent à l’enseignant de se libérer momentanément de la gestion collective de la classe et d’être plus disponible pour accompagner un ou quelques élèves.

L’exemple 
Le plan de travail : des élèves travaillent en autonomie avec un plan de travail pour consolider leurs apprentissages pendant que l’enseignant peut mener un atelier dirigé auprès de quelques élèves dont il a perçu des difficultés durant la séance collective.

La recherche montre qu’un travail dans un groupe est bénéfique à chacun de ses membres, uniquement s’il respecte certaines conditions. Ainsi, pour qu’un travail coopératif existe, la tâche réalisée par les élèves doit résulter d’un apport de chaque individu dans le collectif, dans le cadre d’une organisation structurée (explicitation des rôles de chacun), avec des responsabilités partagées.

L’exemple
Les petits groupes : des groupes de 2 à 5 élèves sont constitués ; l’enseignant présente les modalités du travail en groupe, veille à ce que chaque membre du groupe soit indispensable à la réussite de la tâche et permet aux élèves de faire un bilan de ce qu’ils ont appris.

L’intervention d’un élève tuteur, moins formelle que celle de l’enseignant, est un moyen de répondre aux obstacles rencontrés par un élève tutoré. La recherche montre que, pour que cela bénéficie à tous, les tuteurs doivent bénéficier d’une préparation pour accompagner efficacement les turorés. Les tuteurs tirent systématiquement bénéfice de ce dispositif car ils se voient offrir des occasions d’explicitation et de consolidation des savoirs et savoir-faire qu’ils maîtrisent.

L’exemple
Le tutorat : des binômes tuteur-tutoré, prenant en compte les affinités des élèves, sont constitués ; le tuteur est spécifiquement préparé à son rôle, à l’analyse des difficultés rencontrées par l’autre et à la façon d’y répondre ; le tutoré se voit proposer une nouvelle formulation par un élève semblable à lui.

La recherche montre que composer un groupe réduit d’élèves sur un temps spécifique est bénéfique aux apprentissages, uniquement si certaines conditions sont réunies.  Ainsi, les enseignants peuvent constituer des groupes autour d’un même besoin, reposant sur l’évaluation préalable (pas forcément écrite) d’une compétence précise. Le groupement doit être flexible et réévalué en fonction des progrès des élèves, pour éviter la démotivation et la stigmatisation. Les temps en groupe homogène peuvent être réguliers mais doivent rester nettement inférieurs au temps en groupe/classe hétérogène.

Co-enseigner consiste à partager, à deux enseignants au moins, un même espace-temps. Les enseignants sont conjointement responsables des objectifs d’apprentissage à atteindre. Ils co-observent, co-produisent et co-analysent leurs pratiques respectives. Le co-enseignement n’a pas besoin d’être appliqué tout le temps et peut être pensé au sein d’un même cycle.

L’exemple
Le co-enseignement : dans la même classe, deux enseignants font leur cours en même temps, ou un enseignant fait cours pendant que l’autre apporte une aide ponctuelle, ou les deux enseignants aident les élèves qui en font la demande ; les élèves profitent des deux façons différentes de présenter les contenus.

Le co-enseignement ne doit pas être confondu avec la co-intervention. Celle-ci, en divisant le travail entre les enseignants et parfois le lieu d’apprentissage, permet de créer des groupes restreints, notamment d’élèves en difficultés sur une notion donnée. Elle peut être efficace sous certaines conditions (par exemple, un enseignement centré sur les savoirs et les stratégies d’apprentissage et soutenu par des interactions plus nombreuses entre l’enseignant et ses élèves et entre les élèves eux-mêmes). Cependant, la recherche montre que la co-intervention peut présenter plusieurs risques, notamment lorsqu’un ou quelques élèves en difficultés sont séparés du groupe classe :

  • le risque, pour quelques élèves, d’être exposés à des savoirs déconnectés de ceux de la classe. En effet ce qui est fait hors de la classe est souvent très différent de ce qui est fait en classe. Pendant ce temps-là, les apprentissages en classe se poursuivent et les élèves du groupe externalisé en sont privés ;
  • le risque de ne pas reconnecter les apprentissages effectués dans le groupe externalisé avec ceux de la classe. C’est souvent aux élèves eux-mêmes de faire le lien entre les deux espaces ; or, plus un élève éprouve des difficultés, moins il est en mesure d’opérer ces liens seul ;
  • le risque pour les élèves de se voir proposer des situations de plus en plus simples, au sein d’un regroupement homogène d’élèves avec des difficultés ; or quand les situations sont trop simples, les élèves ont peu d’occasions de progresser.

Organisation de l'école ou de l'établissement

La différenciation pédagogique doit dépasser le simple cadre de la classe. Elle doit être pensée dans le temps (à l’échelle d’un cycle) et dans l’espace (à l’échelle de l’école ou de l’établissement). Ce pilotage de la différenciation au niveau de l’école ou de l’établissement doit être pensé en amont de l’organisation, par chaque enseignant de sa classe. Il permet ainsi d’articuler des classes hétérogènes avec des dispositifs locaux de différenciation pédagogique.

Le cadre pédagogique doit être défini à l’échelle de l’école, de la circonscription (1er degré)  ou de l’établissement (2nd degré). Les enseignants doivent être incités à mutualiser leurs questionnements, leurs besoins et leurs pratiques. Un cadre de collaboration doit être proposé, fondé sur des objectifs communs à atteindre.

Afin de favoriser la différenciation pédagogique, les personnels de direction des collèges et lycées doivent penser des emplois du temps qui la facilitent.  La mise en place d’emplois du temps avec des heures en barrettes (par exemple, plusieurs classes de 6e ont cours de français en même temps) doit permettre aux enseignants d’envisager des travaux communs, pour mettre en place des dispositifs spécifiques ou des projets.

Les classes hétérogènes sont à privilégier pour éviter des classes de niveau ou à option dont la recherche montre qu’elles augmentent les écarts de résultats entre élèves. Cependant, des regroupements homogènes peuvent être efficaces s’ils visent l’acquisition d’une compétence très précise et s’inscrivent dans la durée d’une séquence d’apprentissage exclusivement.

L’exemple
La mise à profit des cycles : un groupe d’élèves, de différents niveaux d’enseignement (5e,4e…), est réuni temporairement pour avancer sur une notion très précise (par exemple, en mathématiques, sur l’enseignement des fractions).

Formation des enseignants

La différenciation pédagogique nécessite, avant tout, une bonne maîtrise didactique (expertise dans l’enseignement d’une discipline) qui s’acquiert via la formation. Pour être efficace, cette formation doit se dérouler en équipe, être centrée sur les apprentissages et prendre en compte au mieux les situations vécues par les enseignants.

Les enseignants doivent être formés, dès la formation initiale et tout au long de la vie, au repérage des obstacles potentiels de situations d’enseignement/apprentissage. Les entrées disciplinaires sont alors précieuses et peuvent se révéler efficaces. Pour faire évoluer les pratiques, des leviers sont à privilégier :

  • observation des élèves au travail, en situation ou par vidéo,
  • étude de productions d’élèves,
  • entretiens avec des élèves.

La formation gagne à se tenir sur les lieux d’exercice des enseignants (écoles et établissements), lors de moments formels et informels, en équipe. La différenciation pédagogique doit être intégrée de façon transversale aux contenus de formation et accompagnée dans un temps long. Le formateur peut ainsi s’appuyer sur l’intelligence collective et la capacité de chacun à réfléchir, à apprendre et à évoluer.

La formation doit permettre aux enseignants de :

  • comprendre les intérêts et limites des pédagogies qu’ils mettent en œuvre dans leur classe,
  • profiter de la richesse des préparations communes de séances d’enseignement,
  • revenir collectivement sur leur expérience, leurs croyances et leurs connaissances.

Les formateurs doivent être formés aux différents acquis de la recherche, dans ses différents champs (psychologie et neurosciences, sociologie, didactique, pédagogie…) afin de permettre aux enseignants de bénéficier des éclairages les plus bénéfiques sur leur action.