Pratiques enseignantes


État des pratiques enseignantes et de leur efficacité

Si le temps consacré à l’écriture au primaire est inférieur à celui dédié à la lecture, son enseignement est pourtant fondamental. Compte tenu de la diversité des apprentissages en jeu (geste d’écriture, construction et organisation de la pensée, réflexion sur le contenu, connaissances et compétences orthographiques…), l’enseignement de l’écriture peut prendre diverses formes et évoluer au fil de la scolarité.

Cette partie vise à apporter un éclairage sur la diversité et l’évolution des pratiques enseignantes en s’appuyant sur le rapport scientifique du Cnesco, rédigé par Catherine Brissaud et Michel Fayol (Étude de la langue et production d’écrits, Cnesco, 2018) ainsi que sur l’état des lieux (État des lieux, Cnesco, 2018) et sur les notes de Linda Allal, Jacques Crinon, Claudine Garcia-Debanc, Patrice Gourdet, Francis GrossmannMartine Jaubert et Olivier Lumbroso (Notes des experts, Cnesco, 2018).

Une grande variété de pratiques pour enseigner l’écriture

Dès le début de l’école primaire, les activités de lecture l’emportent sur celles d’écriture, les enseignants accordant deux fois moins de temps à l’écriture. Son enseignement recouvre de nombreuses composantes (copie, calligraphie, production…) et le temps accordé à chacune est extrêmement variable dans les classes. Par la suite, en fin de primaire, peu d’enseignants se focalisent sur des activités menant les élèves à réfléchir sur la langue, alors qu’ils développent, presque tous, des pratiques relativement « traditionnelles » (dictée, mémorisation de mots, leçons et exercices d’application, entrainement de conjugaison…). Au moment de corriger les productions écrites des élèves, les enseignants tendent à se concentrer plus sur la forme que sur le fond, particulièrement pour les élèves présentant le plus de difficultés.

La place donnée à la lecture l’emporte sur les activités d’écriture en CP
Les recherches ont montré que le temps passé à l’enseignement de la lecture à l’école primaire a toujours été supérieur à celui accordé à l’écriture. La recherche Lire et écrire au CP confirme cette asymétrie.

Au temps dédié à la lecture et à l’écriture vient s’ajouter celui consacré à l’étude de la langue (orthographe, grammaire, lexique…) : 39 minutes lui sont consacrées en moyenne, mais avec une très forte variabilité du temps passé par les enseignants à l’étude de la langue.

La répartition des différentes tâches liées à l’enseignement de l’écrit est très peu abordée par la recherche. Ainsi, seule l’étude Lire et écrire au CP apporte des éléments étayés, issus d’observations de classes. Peu d’informations existent sur les niveaux supérieurs.

Au CP, les tâches d’écriture sont réparties de la manière suivante :

La copie apparaît comme la première activité d’écriture pour les élèves de CP, en incluant le fait de copier une consigne, copier les devoirs… Elle vise à entraîner les élèves aux gestes d’écriture (calligraphie) et/ou à l’orthographe.

La production écrite est également une des activités principales pratiquées en CP. Il existe trois formes de production d’écrits en CP :

  • demander aux élèves d’écrire une phrase en les laissant choisir les mots qu’ils souhaitent utiliser : 25 minutes en moyenne par semaine (avec une forte variabilité, de quelques minutes à près d’une heure) ;
  • fournir aux élèves des mots ou syllabes qu’ils doivent combiner : 12 minutes en moyenne par semaine (10 % des classes ne le pratiquent jamais) ;
  • pratiquer la dictée à l’adulte (les élèves dictent, individuellement ou collectivement, une phrase construite à l’enseignant, qui l’écrit) : moins de 2 minutes par semaine en moyenne (30 % des classes ne la pratiquent jamais alors que les programmes scolaires précisent qu’ « au CP, […] l’aide apportée par la dictée à l’adulte reste indispensable pour nombre d’élèves »).

La dictée, à l’entrée au CP, consiste principalement en une dictée de syllabes ou de mots, voire de phrases à partir du milieu de l’année. Le temps moyen accordé à la dictée est de 23 minutes par semaine, cela pouvant largement varier selon les enseignants, de 3 minutes (pour les classes qui y passent le moins de temps) à 54 minutes (pour les classes qui y passent le plus de temps).

Le travail du geste d’écriture (calligraphie) occupe, au CP, 16 minutes du temps hebdomadaire en moyenne, avec, une nouvelle fois, une très forte variabilité (de quelques minutes à près d’une heure). Le temps consacré diminue fortement au cours de l’année : 26 minutes en moyenne en novembre, seulement 8 minutes en mai : la moitié des enseignants ne la travaillent plus spécifiquement à cette période.

Les enseignants de CP passent, en moyenne, seulement 6 minutes par semaine sur le travail de préparation à l’écrit. Le temps accordé à la révision des productions écrites des élèves est, quant à lui, de 10 minutes par semaine en moyenne.

Une superposition de pratiques pédagogiques en CM2 et au collège

En CM2 comme au collège, les enseignants couplent des activités traditionnelles d’étude de langue (dictée traditionnelle, leçons suivies d’exercices d’application, entrainements de conjugaison…) avec certains exercices intégrant des postures d’élèves plus réflexives (dictée dialoguée, enseignement de la langue à partir de la production de textes…).

Ainsi, neuf enseignants de CM2 sur dix déclarent pratiquer la dictée, souvent ou de temps en temps ; elle est encore très présente au collège (75 %). En revanche, la dictée dialoguée ou coopérative (tournée vers la réflexion) n’est pas pratiquée, ou exceptionnellement, dans près d’une classe de CM2 sur deux et par deux tiers des enseignants de français au collège. De plus, 94 % des enseignants de CM2 déclarent faire mémoriser des mots à leurs élèves, alors qu’ils ne sont que 57 % à pratiquer des activités de mise en réseau de mots (intégrer le mot dans son contexte).

Plus globalement, en CM2, plus de 90 % des enseignants déclarent proposer, souvent ou de temps en temps, une leçon de grammaire, de vocabulaire ou d’orthographe suivie d’exercices d’application (Depp, 2013). Par ailleurs, 72 % des enseignants déclarent pratiquer souvent ou de temps en temps, un travail sur la langue directement lié aux productions écrites des élèves.

Des pratiques de correction concentrées sur la forme plus que sur le fond

L’évaluation de l’écrit apparaît aux enseignants comme une tâche lourde, longue et délicate à réaliser. Les recherches menées depuis plus de 30 ans ont montré que les corrections portent sur les écarts à la norme plus que sur l’invention. Une analyse des traces de correction de copies portant sur la production de textes narratifs en 3e laisse apparaître cinq postures de correction, qui peuvent être combinées : un enseignant n’adopte pas qu’une seule posture (Pilorgé, 2010).

Lorsque l’enseignant rentre dans la posture de « gardien du code », il pointe les erreurs de langue. En tant que « lecteur naïf », à l’inverse, il s’intéresse à l’univers imaginaire proposé par l’élève. La posture de « stimulus-réponse » lui permet d’évaluer le degré de réalisation de la consigne et d’activation des connaissances. Lorsque l’enseignant se positionne en « éditeur », il invite l’élève à effectuer des révisions textuelles. Enfin, dans la posture « critique », il suggère des améliorations de texte d’un point de vue littéraire.

Dans l’analyse de Pilorgé, les postures qui s’intéressent le plus au « fond » des productions écrites des élèves n’apparaissent que pour les devoirs jugés de qualité.

Des formations initiales et continues en retrait

La moitié des enseignants de CM2, seulement, sont formés à l’enseignement de la langue française. Ils semblent particulièrement peu formés aux spécificités de la langue française et à son apprentissage par les élèves. 40 % des enseignants de CM2 déclarent n’avoir reçu aucune formation relative à la langue française, son enseignement ou son apprentissage (DEPP, 2013).

Au collège, les professeurs de français sont eux davantage formés à l’enseignement de la langue (67 %). Dans une moindre mesure, ils reçoivent également une formation à son apprentissage par les élèves (28 %).

Des pratiques efficaces pour amener les élèves à rédiger

De nombreuses recherches ont permis d’identifier les pratiques efficaces pour amener les élèves à produire un texte de qualité. Ainsi, le processus d’écriture se décline en différentes phases, qui viennent nourrir et améliorer les textes des élèves : la préparation, l’utilisation constructive du brouillon, la production de textes (genres variés, écriture collaborative), la révision de textes (clarté, correction de la langue…).

Préparer les élèves à rédiger

Maîtriser le sujet sur lequel on écrit facilite l’activité de production. L’activité d’écriture peut donc demander, dans un premier temps, des activités préparatoires dont les études ont montré qu’elles améliorent la qualité des textes produits. Elles peuvent prendre différentes formes :

  • une recherche d’informations (pour un texte explicatif) ;
  • une réflexion collective pour trouver des idées (pour une fiction) ;
  • des notes préparatoires ;
  • un travail sur le lexique à mobiliser ;
  • un schéma, un dessin…

Pour les écoliers, notamment en difficulté, les modifications d’un brouillon sont coûteuses. Commencer par une phase de travail sous une autre forme que le texte (schéma, tableau, dessin…) pourrait donc permettre de structurer et d’explorer avant d’écrire. Les cartes mentales ont particulièrement été investiguées en complément du brouillon linéaire.

Passer par le brouillon

L’usage du brouillon aboutit souvent à une simple recopie/mise au propre et ne permet pas aux élèves d’améliorer leur production. Il parait pourtant important d’enseigner aux élèves à retravailler leurs textes. Les recherches montrent, en effet, que l’enseignement de stratégies d’utilisation du brouillon est bénéfique pour les élèves.

Une étude menée auprès d’élèves en fin d’école primaire montre que les textes produits sont de meilleure qualité lorsque les élèves ont reçu un enseignement des stratégies d’utilisation du brouillon (López et al., 2017). Ces stratégies peuvent être enseignées de façon directe (connaissances pour planifier son texte et pour utiliser le brouillon) ou à travers l’observation d’un modèle de brouillon.

Selon une autre étude, une utilisation pertinente du brouillon permet de délester les élèves d’une partie de la tâche au moment de la production finale, et ainsi de se concentrer plus efficacement sur l’orthographe.

Rédiger différents types de textes

Les genres (littéraire, journalistique, scientifique…) possèdent, chacun, une forme particulière avec des caractéristiques propres et un lexique adapté. Les études ont montré qu’un enseignement explicite de ces différents genres et de leur structure améliorait la qualité des textes produits. Cette appropriation des genres de textes peut notamment être appuyée sur des enseignements disciplinaires : sciences, mathématiques, histoire-géographie…

Écrire dans toutes les disciplines

Les élèves de primaire ne font pas intuitivement la différence entre les différentes disciplines et les formes de textes qui leur sont propres : ils peuvent confondre, par exemple, le scientifique et le littéraire. Des temps d’apprentissage doivent être consacrés à ces distinctions afin que les élèves les apprennent et qu’ils soient ensuite capables d’utiliser le vocabulaire, le ton et les formes adaptés.

Au collège, une étude menée sur une simulation globale à caractère scientifique (sur la question des ressources en eau) apporte un exemple de mise en pratique possible. Les élèves étaient amenés à s’approprier des documents, à argumenter et à négocier par écrit avec d’autres participants. Des échanges d’écrits intenses ont été constatés, avec une progression dans la qualité de l’argumentation scientifique mais aussi dans le sentiment d’auto-efficacité des élèves à travers l’écriture (Lawless et Brown, 2015).

Rédiger à plusieurs

Plusieurs études ont montré que le travail d’écriture collaborative entre les élèves (en classe entière, en groupe ou en binômes) peut leur permettre de progresser plus vite que s’ils travaillaient individuellement.

Retravailler le texte en binôme

Plusieurs recherches se sont intéressées aux bénéfices des échanges entre élèves à propos de leurs textes. Ainsi, une étude a proposé un travail de réécriture en binôme, sur le principe du tuteur-tutoré. Les élèves, en particulier les tuteurs, ont amélioré leurs textes d’une version à l’autre, manifestant une meilleure compréhension du genre de texte, l’appropriation des procédés d’écriture et une amélioration de leurs échanges sous forme de conseils.

Une autre étude, menée auprès d’élèves de CM2 et de 6e, s’est intéressée aux collaborations entre élèves dans le cadre de la révision d’un texte. Cette séquence se déroulait en trois temps :

1. rédiger un premier texte au brouillon ;

2. réviser le texte individuellement ;

3. réviser le texte en binôme avec un autre élève.

Individuellement, les élèves passaient entre 5 et 10 minutes à réviser leur texte, en précisant qu’ils avaient « tout fait ». Dans la seconde phase, en binôme, les élèves ont passé 10 à 25 minutes supplémentaires à réviser leur texte. Surtout, ce temps dédoublé sur la révision a permis aux élèves de réaliser deux fois plus de modifications sur le texte initial. Les textes produits, sans être parfaits, étaient nettement améliorés sur le plan de la réussite orthographique et de la ponctuation.

Dans le cadre du binôme, les deux élèves bénéficient de cet échange puisqu’ils s’engagent tous les deux dans des réflexions et des propositions concernant l’orthographe. Il est, pour autant, important que ces moments d’interaction soient soutenus et encadrés par l’enseignant, notamment en explicitant les questions que les élèves peuvent se poser entre eux.

Retravailler à partir du texte

Une expérimentation a étudié la mise en place d’une séquence en trois temps :

1. faire rédiger un texte d’un genre donné (narratif, argumentatif…) ;

2. travailler des tâches orthographiques pertinentes dans le cadre de cette production :

      • des tâches « différées », portant sur des éléments contenus dans le texte produit ;
      • des tâches « décrochées », portant sur des exercices « traditionnels », hors-contexte.

3. faire écrire un nouveau texte du même genre que le premier.

Ce dispositif a permis, en 6e, une amélioration des résultats des élèves, notamment de ceux qui présentaient le plus de difficultés vis-à-vis de l’orthographe. Les élèves ayant appris à travailler suivant cette organisation effectuent également, en fin d’année, plus de révisions de l’orthographe de leurs textes que les autres élèves.

Être lu

Lorsqu’un élève voit son propre texte lu par une autre personne, il prend conscience de sa fluidité et de la façon dont il peut être compris. Cette lecture peut, notamment, être réalisée par un autre élève, l’enseignant ou un public extérieur. Il apparait également important que cet élève se retrouve, lui aussi, en position de lecteur du texte d’un de ses camarades. Ces deux situations permettent de mieux comprendre les besoins des lecteurs, et donc d’améliorer la qualité des textes produits.

Des pratiques de dictée efficaces orientées vers la réflexion

La dictée est une étape permettant aux élèves de mettre en pratique les gestes d’écriture et de consolider leur connaissance de la langue, éléments qu’ils devront mobiliser par la suite pour écrire et rédiger. Dans cet objectif, la dictée peut prendre différentes formes. Les recherches ont montré l’efficacité des dictées qui permettent d’engager une réflexion sur la langue.

Dictée « traditionnelle »

La dictée dite « traditionnelle » se présente comme un texte relativement long, le plus souvent littéraire, dicté avec ou sans préparation. La production de l’élève est ensuite corrigée et évaluée. À ce jour, les recherches n’ont pas mis en évidence les conditions pédagogiques permettant de faire progresser les élèves, notamment les plus fragiles, grâce à la dictée « traditionnelle » portant sur un texte long.

Dictées orientées vers la réflexion

D’autres formats de dictées ont été expérimentés. Ces formats s’appuient sur un travail réflexif autour de la dictée qui devient un moyen d’apprentissage et non uniquement d’évaluation.

  • La dictée de syllabes ou de mots au CP

En CP, plus le temps passé à écrire sous la dictée est grand, plus les progrès en écriture sont importants, avec un effet plafond à 40 minutes environ par semaine. Les résultats montrent un effet positif du temps passé à écrire sous dictée sur la qualité orthographique des textes rédigés par les élèves, notamment pour les élèves les plus en difficulté. Aller au-delà de 40 minutes par semaine ne permet cependant pas davantage de faire progresser les élèves.

Les premières investigations qualitatives sur les classes les plus efficaces semblent révéler des contextes où la dictée est essentiellement un travail réflexif : l’enseignant incite les élèves à s’interroger sur les phénomènes orthographiques qui leur posent des difficultés pour anticiper et corriger leurs erreurs (Goigoux, dir., 2016).

  • La dictée zéro faute

Ce travail réflexif peut se traduire par de nouvelles formes de dictées. Une étude québécoise (Fisher & Nadeau, 2014) a mis en place des types de dictées « innovantes » au primaire et au secondaire. Par exemple, la dictée zéro faute permet aux élèves, à tout moment pendant la dictée, de poser des questions sur une phrase et à l’enseignant de les guider, sans fournir la réponse.

Ce type de dispositif permet aux élèves d’apprendre à expliciter leurs connaissances avec les pairs pour résoudre des difficultés de terminaisons et d’accords (il ne s’agit pas d’un travail sur l’orthographe lexicale). Il permet ainsi de laisser une place aux doutes orthographiques des élèves, qui sont invités à les exprimer et à échanger sur la façon dont se construisent les phrases. De cette manière, il fait écho aux résultats d’une étude anglaise montrant l’importance de l’analyse de la langue (approche métalinguistique) pour améliorer les résultats des élèves (Myhill et al., 2016).

Sur une année scolaire, les chercheuses observent une nette amélioration des performances des élèves particulièrement à l’école primaire et pour ceux qui rencontraient le plus de difficultés, non seulement sur une dictée mais aussi en production de textes.