Inégalités de traitement
L'école française donne moins à ceux qui ont moins
Le Cnesco a publié un rapport scientifique sur l’ampleur des inégalités sociales à l’école. L’école française présente, tout d’abord, des inégalités de traitement qui viennent amplifier les inégalités sociales.
La discrimination négative de l'éducation prioritaire
Depuis le début des années 1980, la France a mis en place une politique d’éducation prioritaire qui certes a augmenté les moyens des établissements défavorisés (par une baisse de la taille des classes (très limitée), des budgets de fonctionnement, un encadrement supérieur des élèves hors personnel enseignant, …) mais sans renforcer les dimensions cruciales dans les apprentissages des élèves (temps d’enseignement, expériences des enseignants, qualité des méthodes pédagogiques utilisées, …). Progressivement, un phénomène de discrimination négative s’est installé entre l’éducation prioritaire et les établissements du secteur ordinaire.
En éducation prioritaire, des effectifs de classe pas si réduits
Depuis 35 ans, la France a mis en place un programme d’éducation prioritaire, destiné aux établissements les plus défavorisés. La mesure phare de ce programme, comme dans les autres pays de l’OCDE ayant fait ce choix, consiste dans la baisse des effectifs d’élèves dans les classes. Cette volonté affichée a été très timide.
En 2015, du CP au CM2, l’effectif moyen dans les classes d’éducation prioritaire était de 22,7 élèves, soit seulement 1,4 élèves de moins que dans les écoles hors éducation prioritaire. De plus, cet écart tend à se resserrer (plus de 2 élèves d’écart en 2009).
En 2015 toujours, au collège, l’effectif moyen d’une structure (« du nombre moyen d’élèves à chaque cours ») était de 21,7 en éducation prioritaire, soit 2,5 élèves de moins que dans les collèges hors éducation prioritaire.
Tant dans le primaire qu’au collège, la différence entre les effectifs par classe entre l’éducation prioritaire et les autres établissements demeure trop faible pour avoir un impact pédagogique positif véritable. Les recherches menées sur la réduction de la taille des classes (Cnesco, 2014) montrent en effet que seule une réduction importante de la taille des classes dès le primaire permet l’amélioration significative des résultats scolaires des élèves socialement défavorisés, à condition qu’elle soit associée à une adaptation des pratiques pédagogiques.
Un enseignement de moins bonne qualité pour les élèves défavorisés
Le rapport du Cnesco montre que, sur des dimensions centrales dans les apprentissages, les élèves scolarisés en éducation prioritaire ne bénéficient pas d’une qualité d’enseignement identique à celle des élèves scolarisés en établissements du secteur ordinaire.
L’étude montre que, sur les deux dimensions centrales dans la réussite scolaire (le temps d’apprentissage et l’expérience professionnelle des enseignants), les élèves issus de l’éducation prioritaire ne bénéficient pas d’une égalité de traitement. Le temps des apprentissages scolaires y est notablement raccourci (problèmes de discipline, exclusions et absences des élèves, absentéisme des enseignants) et le recours à des enseignants contractuels et débutants s’est accru sur la dernière décennie.
Selon l’enquête TALIS (2013), les enseignants d’éducation prioritaire estiment consacrer au collège 21 % du temps de classe à l’instauration et au maintien d’un climat de classe favorable (contre 16 % hors éducation prioritaire et 12 % dans le privé). Cela représente une diminution du temps effectif accordé aux apprentissages des élèves.
Par exemple, en se fondant sur ces différences de temps utile apprécié par les enseignants dans TALIS (2013), sur 4h de français par semaine annoncées en classe de 3e, le temps d’enseignement effectif serait de 2h30 en éducation prioritaire, 2h45 hors éducation prioritaire et 3h dans le privé.
Cela signifie que les élèves de 3e scolarisés dans le privé profitent d’une demi-heure d’enseignement supplémentaire en français chaque semaine.
De plus, d’après les recherches, les exclusions temporaires semblent concerner davantage les élèves des établissements défavorisés, réduisant également leur temps d’exposition à l’enseignement.
Enfin, dans les établissements classés Éclair en 2013-2014 (en éducation prioritaire), le taux d’absentéisme des élèves atteignait 27 %, contre 16 % dans les autres établissements.
Les recherches nationales et internationales ont permis de déterminer les stratégies d’apprentissage les plus efficaces et leur utilisation par les élèves selon leur position sociale.
L’OCDE s’est intéressée à trois grandes stratégies d’apprentissage dans la compréhension de l’écrit.
- Stratégies de mémorisation
Elles consistent à mémoriser précisément un texte et à le relire de nombreuses fois. C’est la plus basique des stratégies d’apprentissage.
- Stratégies d’élaboration
Elles consistent à faire le lien entre les nouvelles informations contenues dans un texte et d’autres connaissances, issues ou non du milieu scolaire. Ce groupe rassemble des stratégies permettant de parvenir à une compréhension approfondie.
- Stratégies de contrôle (feedback)
Elles consistent à définir des objectifs précis d’apprentissage, à vérifier la pertinence de ces stratégies, et à s’autoévaluer. Ce groupe rassemble les stratégies d’apprentissage les plus complexes. Elles sont centrales pour apprendre à apprendre.
Sur les stratégies de contrôle, les plus complexes, la France fait partie des pays de l’OCDE dans lesquels l’écart d’utilisation de ces stratégies entre élèves favorisés et défavorisés est le plus important. Autrement dit, les élèves défavorisés mobilisent moins souvent des stratégies complexes.
Confrontés à des contextes qui concentrent les difficultés scolaires, les enseignants, faute de formation poussée, développent moins souvent, pour les élèves défavorisés, les méthodes permettant à l’élève d’adapter une posture réflexive sur ses apprentissages.
Ces études convergent avec celles menées pour le Cnesco. Butlen, Charles-Pézard et Masselot (Cnesco, 2016) montrent, en effet, que les enseignants en éducation prioritaire peuvent être tentés de donner des exercices plus simples et d’aider beaucoup plus ces élèves. Ces pratiques représentent un risque d’aggravation de leurs difficultés.
Entre 2005 et 2014, une très forte augmentation du recours aux enseignants non titulaires est observée (de 15 396 à 25 988 dans le 2nd degré). Une part de cette évolution s’explique par le manque d’attractivité dans certaines disciplines, en voies générale et professionnelle. Les contextes défavorisés (quartiers populaires, voie professionnelle) sont également moins demandés par les enseignants titulaires, entraînant un recours accru aux non-titulaires.
Dans le 1er degré, la part d’enseignants peu expérimentés (moins de 30 ans) a augmenté ces dernières années, passant de 22 % en 2008 à 26 % en 2015.
Dans le second degré, la part de jeunes enseignants (moins de 30 ans) est deux fois plus importante en éducation prioritaire (17 % contre 9 % hors éducation prioritaire, en 2011).
Or, la recherche a montré que le sentiment d’efficacité d’un enseignant est nettement plus faible lorsqu’il a moins de 5 ans d’expérience. Sans préjuger des compétences et de la motivation de ces enseignants, les affecter sans expérience dans des établissements difficiles pourrait les mettre en situation d’échec.
De plus, les enseignants débutants souhaitent peu souvent rester longtemps dans leur premier établissement. La moitié des enseignants en éducation prioritaire exercent dans leur établissement depuis 3 ans ou moins, contre 5 ans ou moins pour les enseignants hors éducation prioritaire.
Un environnement scolaire plus difficile pour les élèves défavorisés
Comme l’ont déjà montré les travaux du Cnesco en 2015, les phénomènes de ségrégations sociale et scolaire qui touchent l’école française sont puissants, entre les établissements et dans les établissements. Le Cnesco a exposé que 12 % des élèves fréquentent un établissement accueillant deux tiers d’élèves défavorisés (parents ouvriers, chômeurs ou inactifs).
Sur les dix dernières années, malgré la timide politique de mixité sociale sous forme d’assouplissement de la carte scolaire (2007), les données de PISA (Monseur et Baye ; Felouzis, Fouquet-Chauprade, Charmillot et Imperiale-Arefaine, Cnesco, 2016) et le traitement des bases administratives nationales (Ly et Riegert, Cnesco, 2016) montrent une stabilité des ségrégations sociale et scolaire entre les établissements. Les données PISA suggèrent dans la première moitié des années 2000 une accélération de la ségrégation scolaire dans les collèges de l’échantillon accueillant des élèves de 15 ans.
Enfin, un processus de ségrégation d’origine migratoire pourrait être également à l’œuvre dans les collèges. Les élèves d’origine immigrée ne seraient pas répartis de manière homogène entre les différents établissements. Le rapport du Cnesco (Monseur et Baye, Cnesco, 2016) met en évidence une possible accélération de la ségrégation d’origine migratoire depuis 2000.
Monseur et Baye (Cnesco, 2016) soulignent que ces derniers chiffres sont à prendre avec précaution : la France a refusé, jusqu’alors, de développer toutes les analyses au niveau de l’établissement dans l’enquête PISA, les élèves de 15 ans pouvant être scolarisés en France au collège et au lycée. Ces recherches ne permettent qu’une analyse réduite des phénomènes observés au collège, en les centrant sur les élèves en retard scolaire à 15 ans.
Les contextes ségrégués ne sont pas bénéfiques en termes de climat scolaire. Les élèves défavorisés bénéficient d’un cadre d’apprentissage qu’ils perçoivent comme moins sécurisé, moins discipliné et moins porteur en termes de relations positives entre élèves et enseignants. Sur ces dernières dimensions, les écarts se creusent en faveur des élèves favorisés, sur la dernière décennie.
En 2016, un tiers des élèves disent se sentir en insécurité au sein de leur collège d’éducation prioritaire contre un quart dans les autres établissements (DEPP).
Plus globalement, en France, on observe une très forte corrélation de la position sociale de l’élève et le climat scolaire dans lequel il est accueilli, largement supérieure à la moyenne de l’OCDE (OCDE, 2012). Dans les pays marqués par plus de justice sociale, le climat scolaire ne dépend pas du milieu social de l’élève (c’est le cas en Finlande, au Canada, en Islande, en Norvège, …)
Plus finement, Goussé et Le Donné (Cnesco, 2016) montrent que le climat scolaire évolue négativement en France entre 2000 et 2009, tout particulièrement pour les élèves les moins avancés scolairement. En 2009, parmi les élèves les plus en difficulté, un sur trois considérait être dans un environnement scolaire l’empêchant de travailler correctement. Ils n’étaient que 18 % parmi les élèves avancés scolairement à se plaindre de conditions de travail difficiles (indiscipline des élèves).
Pour d’autres dimensions du climat scolaire pourtant, l’école française s’est nettement améliorée durant la dernière décennie. Ainsi la qualité des relations élèves-enseignants a progressé durant la décennie 2000. Mais même dans ce cadre positif, les écarts de traitement se creusent entre élèves favorisés et défavorisés, les premiers bénéficiant plus d’une école bienveillante. En 2009, 92 % des élèves français de niveau scolaire avancé déclaraient avoir l’impression d’être traités de façon juste par leur enseignant, contre 69% seulement en 2000 (Goussé et Le Donné, Cnesco, 2016). Les élèves les moins avancés scolairement restent moins nombreux que leurs pairs favorisés à reconnaître un bon traitement de la part de leurs enseignants (76 % en 2009, contre 71 % en 2000).