Contextes et sens des politiques éducatives : quelles incidences sur la mise en oeuvre ?
Plénière 2
RÉPUBLIQUE TCHÈQUE– Expertise et mise en oeuvre des politiques éducatives
Comment intégrer l’expertise dans les politiques éducatives pour en améliorer la mise en oeuvre ?
Stanislav Stech, université Charles de Prague (République tchèque)
À retenir
Stanislav Stech analyse la mise en œuvre d’une politique d’éducation inclusive (tournée vers les enfants des minorités roms) menée en République tchèque. Entre l’amendement à la loi destiné à mettre en œuvre cette politique et son entrée en vigueur, des critiques ont émergé et un jeu de force s’est installé entre chercheurs, décideurs et experts médiatiques. Pourquoi cet amendement a-t-il provoqué de la résistance ?
1) Il n’y a pas eu de prise en compte du contexte éducatif de la République tchèque, pourtant peu favorable, à ce moment-là, à la mise en œuvre d’une politique d’éducation inclusive : émergence d’établissements privés qui favorisent un système de sélection précoce d’enfants considérés comme « doués » (riches en capital socioculturel), système décentralisé avec une très grande autonomie des établissements, des enseignants peu encadrés et sous-payés, et un contexte d’inégalités croissantes.
2) Par ailleurs, les arguments utilisés pour légitimer la mise en œuvre de cet amendement (Déclaration de Salamanque ; législation de la Cour européenne sur la discrimination systémique des enfants défavorisés en République tchèque ; comparaisons internationales, etc.) sont apparus comme déconnectés des réalités du terrain. La mise en œuvre a été vécue comme une pression idéologique étrangère. Les enseignants se sont sentis peu concernés, et ont considéré que la réforme était l’affaire des chercheurs et des éducateurs spécialisés.
3) Il n’y a pas eu d’interactions, de débats, de confrontations entre chercheurs, décideurs et experts médiatiques, ni de création d’organismes intermédiaires entre ces trois acteurs pour partager de la connaissance. Après avoir transmis des connaissances scientifiques sur l’éducation inclusive aux décideurs, les chercheurs n’ont pas endossé le rôle d’experts-médiateurs transformant ces connaissances en arguments politiques. Insuffisamment armés et soucieux de la mise en cause de la légitimité de la réforme, les décideurs ont réagi en fonction des humeurs de l’opinion publique.
De nouveaux acteurs médiatiques ont alors émergé pour traduire cette connaissance scientifique et ont déplacé le débat (militants, médecins, célébrités médiatiques, réseaux sociaux représentant la voix organisée de l’opinion publique, politologues qui ont une expertise réelle dans un champ de connaissance, mais qui est très différent de celui de l’éducation inclusive, etc.).
BELGIQUE - Participation de la communauté éducative et mise en oeuvre des politiques éducatives
Dans quelle mesure la participation des acteurs de la communauté éducative et une approche systémique favorisent-elles la mise en oeuvre d’une politique éducative ?
Marc Romainville, université de Namur (Belgique)
À retenir
Marc Romainville revient sur le « Pacte pour un enseignement d’excellence », une réforme en cours de l’enseignement obligatoire dans la partie francophone de la Belgique, et s’interroge sur les premières grandes leçons que l’on peut tirer de cette expérience concernant la mise en œuvre des politiques éducatives :
1) Le « Pacte » repose sur un ensemble de réformes éducatives qui se veulent systémiques et participatives, qui poursuivent un double objectif de refonte de l’enseignement obligatoire pour le rendre à la fois plus efficace (de meilleure qualité) et plus équitable.
2) L’approche systémique comporte plusieurs biais : si l’auteur affirme qu’il est nécessaire de « penser global » dans une perspective de long terme, il explique que, paradoxalement, « agir global » n’est pas sans risque : cela conduit à considérer une multiplicité d’éléments à réformer au sein du système éducatif et peut mener, dans les cas les plus graves, à une saturation de la capacité du terrain à absorber les réformes. Il est donc indispensable de phaser les plans d’action malgré le risque que l’observation des effets attendus soit reporté.
3) L’approche participative renvoie à plusieurs enjeux : qui participe (question de la légitimité de représentativité) ? Et à quoi ? Par ailleurs, la crise de confiance vis-à-vis de la démocratie participative et la confiscation des débats par les réseaux sociaux font obstacle à la participation.
SUISSE - Participation des citoyens et mise en oeuvre des politiques éducatives
Dans quelle mesure la participation citoyenne favorise-t-elle la mise en oeuvre d’une politique éducative ?
Georges Felouzis et Barbara Fouquet-Chauprade, université de Genève (Suisse)
À retenir
Barbara Fouquet-Chauprade et Georges Felouzis traitent de la question de la participation citoyenne en lien avec la mise en œuvre d’une réforme éducative en Suisse, plus particulièrement dans le canton de Genève. Ils partent de l’interrogation suivante : en quoi les spécificités des institutions politiques suisses (notamment la participation citoyenne) influencent-elles la façon dont l’action publique en éducation est acceptée, légitimée et mise en œuvre ?
1) En Suisse, il y a un principe qui valorise fortement la participation citoyenne et l’idée que cette participation est au cœur des décisions politiques : les outils de la participation (référendum, initiative populaire, pétition) sont très largement utilisés et se déclinent à tous les échelons politiques (système décentralisé : confédération, cantons, communes).
2) La démocratie participative repose sur l’idée d’une nécessité de trouver un consensus. C’est un moyen de limiter le conflit de légitimité d’une politique éducative, par le simple fait qu’elle implique les citoyens dans la construction même de cette réforme. Mais à l’autre extrême, elle peut aussi représenter un poids dans les processus de décision (lenteur, risque d’oppositions fortes).
3) La démocratie participative, et notamment le dépôt d’initiatives citoyennes, a été utilisée comme outil de la mise en œuvre d’une réforme du secondaire 1 dans le canton de Genève (l’équivalent du collège en France). Malgré une forme de consensus autour de cette réforme, elle n’a pas été efficace pour réduire les inégalités, entre autres parce qu’elle ne s’est pas accompagnée d’une mise en œuvre pédagogique, qui semblait pourtant indispensable. Il y a une nécessité à faire consensus en amont de la mise en œuvre, de façon à ce que le plus grand nombre se retrouve autour de la réforme, tout comme cela est prévu pour la nouvelle réforme du secondaire 1 de 2022 (constitution de groupes de travail et de consultation composés de syndicats, de directions d’établissements, d’associations de parents d’élèves ou encore de députés).
AUSTRALIE - Place des expérimentations et mise en oeuvre des politiques éducatives
Dans quelle mesure le développement d’expérimentations améliore-t-il la mise en oeuvre des politiques éducatives ?
Jenny Donovan, Australian Education Research Organisation (Australie)
À retenir
Jenny Donovan, à la tête de la récente Organisation australienne de recherche sur l’éducation (AERO – Australian Education Research Organisation), fondée en décembre 2020 en Australie, s’interroge sur la manière dont la science peut être utilisée pour déterminer les politiques et les pratiques éducatives :
1) AERO est une organisation indépendante créée pour rassembler et produire des données probantes issues de la recherche, assurer leur diffusion, encourager leur utilisation dans les pratiques des professionnels et dans les politiques éducatives et en mesurer les effets.
2) La stratégie d’AERO a été imaginée en capitalisant sur l’expérience d’autres agences poursuivant des objectifs similaires à travers le monde, tels que les « What Works Centres »*.Parmi les écueils connus figurent la faible implication des acteurs de terrain, un décalage avec les problématiques concrètes rencontrées par les acteurs ou encore une connaissance insuffisante de la façon dont ces derniers s’approprient les données issues de la recherche.
3) AERO met au cœur de sa démarche les besoins exprimés par toutes les parties prenantes de l’éducation, les données les plus susceptibles d’avoir un impact sur les apprentissages des élèves et le souci de faisabilité. Une étape préalable consiste à investiguer le rapport des acteurs de terrain aux données issues de la recherche : quelles données sont-ils plus susceptibles de croire ? Ces données sont-elles fiables ? Comment s’en saisissent-ils et quels sont les obstacles à leur mobilisation pour la pratique ?
* Les What Works Centres sont des structures qui ont émergé au Royaume-Uni à la fin des années 90, afin d’éclairer la décision publique en mettant l’accent sur « ce qui fonctionne ».