Gouvernance, accompagnement et outils de la mise en œuvre des politiques éducatives
Plénière 3
CHILI - Politiques éducatives et trajectoires
Quels sont les ingrédients pour la mise en œuvre d’une politique éducative durable ?
Jose Weinstein, université Diego Portales (Chili)
À retenir
Jose Weinstein s’intéresse à la durabilité des politiques éducatives et revient sur la manière dont au Chili, les gouvernements successifs sont parvenus à inscrire dans la durée une politique d’évaluation des enseignants. Mis en place dans les années 2000, le système d’évaluation des enseignants a été conservé et renforcé lors de l’adoption d’une nouvelle politique en 2016 sur la « nouvelle carrière d’enseignant ».
1) En Amérique latine, une majorité des systèmes éducatifs n’évaluent pas les enseignants, ou alors uniquement de manière administrative, pour différentes raisons à la fois techniques, politiques et culturelles. Ainsi, les tentatives d’évaluation des enseignants au Chili ont la plupart du temps abouti à des protestations fortes et à l’absence de toute évaluation professionnelle des enseignants.
2) L’évaluation des enseignants s’est progressivement mise en place au Chili selon 3 étapes successives : 1 – La préparation des conditions pour mettre en place la politique d’évaluation (en 2000) ; 2 – La mise en place de la politique et son développement institutionnel (en 2004) ; 3 – L’intégration de l’évaluation dans la carrière des enseignants (en 2016).
3) L’évaluation des enseignants est une politique éducative complexe, qui a été soutenue par différents acteurs pendant deux décennies. Quatre facteurs permettent de comprendre sa durabilité : 1 – Rationnelle : observations de résultats positifs sur les groupes cibles de la réforme ; 2 – Légale : les lois de la République donnent une stabilité institutionnelle ; 3 – Sociale : légitimité devant l´opinion publique et les groupes cibles de la politique (ici les enseignants) ; 4 – Institutionnelle : différentes institutions et niveaux administratifs sont impliqués.
BELGIQUE - Politiques éducatives, décentralisation et appropriation par les acteurs
Dans quelle mesure des adaptations locales de la mise en œuvre d’une politique éducative peuvent-elles favoriser son appropriation par les acteurs ?
Estelle Cantillon, université libre de Bruxelles (Belgique)
À retenir
Estelle Cantillon revient sur la mise en œuvre d’une réforme des inscriptions scolaires décidée en 2011 en Belgique, afin de promouvoir la mixité sociale dans les écoles (système de double-quota d’élèves socialement favorisés et défavorisés). Son analyse se concentre sur la ville de Gand, où la mise en œuvre de cette réforme, sur un sujet qui divise, a été facilitée par une plateforme locale de concertation* :
1) La plateforme a mis en place une série de mesures de transition et d’accompagnement, afin d’aider les écoles et leurs acteurs à gérer le changement. Sa composition inclusive – elle rassemble tous les acteurs de l’éducation d’une certaine zone géographique (directions et pouvoirs organisateurs dans l’école, centres d’orientation, représentants des syndicats, association de parents d’élèves, etc.) – favorise la construction de solutions et l’émergence de résultats (augmentation de la diversité sociale dans les écoles).
2) La plateforme a permis de faire émerger un débat informé et de faire remonter des retours d’expérience, grâce à la mise en place d’une série de campagnes d’informations et la mobilisation des parents et des acteurs locaux (organisation de visites d’écoles, prises en compte des difficultés techniques observées sur le terrain, réévaluation chaque année). Ce processus participatif a contribué à l’adaptation et à l’adhésion de la réforme : entre 60 % et 70 % des parents soutiennent la politique de promotion de la diversité sociale dans les écoles.
* Les plateformes locales de concertation sont des institutions créées en Belgique en 2002 par le décret « égalité des chances », pour coordonner les politiques locales en matière d’éducation. Elles sont chargées de l’analyse de l’environnement scolaire, de la promotion de la mixité sociale dans les écoles et de la coordination et la mise en œuvre des inscriptions scolaires.
INTERNATIONAL - Politiques éducatives, formation et accompagnement des enseignants
Comment favoriser la mise en œuvre effective d’une politique éducative à partir d’une stratégie d’accompagnement des enseignants ?
Vincent Dupriez, UCLouvain (Belgique)
À retenir
Pour Vincent Dupriez, la réussite d’une réforme pédagogique va dépendre de plusieurs éléments majeurs à prendre en compte au moment de réfléchir à la conception de cette réforme :
1) Reconnaître la complexité du travail enseignant et les incertitudes qui le caractérisent :
• Prendre en compte le contenu du travail pédagogique des enseignants : il va dépendre des élèves, c’est un travail qui demeure singulier. Il s’appuie sur des savoirs et des savoir-faire, ainsi que sur toute une série d’éléments issue entre autres de la recherche. Mais il n’est pas une application mécanique de ces savoirs et savoir-faire. L’enseignant fait des choix eu égard à l’efficacité des stratégies pédagogiques qu’il mobilise, ainsi qu’aux finalités et aux valeurs qui sont en jeu. Son autonomie professionnelle doit ainsi être reconnue.
• L’environnement organisationnel dans lequel ils exercent : compte tenu de l’organisation des établissements sous la forme d’une juxtaposition de classes, ce que fait un enseignant dans sa classe est en grande partie privé, invisible pour ses collègues, pour sa hiérarchie.
2) Travailler la légitimation de la réforme et l’adhésion des enseignants : aujourd’hui, dans nos systèmes éducatifs, les arguments utilisés dans la mise en œuvre d’une réforme reposent principalement sur son efficacité scientifiquement fondée. Or, au regard de la complexité du travail enseignant, des balises fortes doivent également être données sur le sens, les objectifs, les valeurs et la visée d’une réforme. Une certaine souplesse des procédures doit aussi être acceptée : si les enseignants ne se sentent pas suffisamment formés pour adopter les nouvelles pratiques éducatives, il est probable qu’ils préféreront disqualifier le projet de réforme. Dans un tel contexte, on a pu observer une situation de « découplage »*, par exemple, une distance significative entre le projet pédagogique d’un établissement et le travail effectif au sein des classes.
3) Mettre en place des dispositifs dans les établissements scolaires et au niveau de la formation continue des enseignants : par exemple, des kits pédagogiques (États-Unis principalement), dans lesquels sont proposés un ensemble de ressources sur un apprentissage particulier (outils pour les élèves ; manuel, formation et coach pour l’enseignant ; ressources pour les parents) ; la constitution d’un groupe d’enseignants, dit « communauté d’apprentissage » (États-Unis, Québec, Pays-de-Galles, Asie), afin de travailler ensemble dans la durée (1 semestre à 1 an) sur le travail à effectuer avec les élèves au sein de la classe (« déprivatisation des pratiques ») ; un dialogue entre enseignants et équipes de recherche (Québec, Australie) pour produire ensemble de la connaissance sur des méthodes pédagogiques, sur des questions d’évaluation, de formation, etc., pendant 1 à 2 ans. Ces dispositifs sont à adapter en fonction de l’autonomie professionnelle des enseignants.
*Le découplage est défini par Draelants, Meyer et Rowan comme « une distance significative entre la présentation formelle de l’établissement et de son projet […] et le cœur de l’activité professionnelle, le travail au sein des classes […]. »
INTERNATIONAL – Politiques éducatives et évaluation
Dans quelle mesure l’évaluation des politiques éducatives participe-t-elle à leur mise en œuvre ?
Clément Lacouette-Fougère, Sciences Po Paris et université Paris-Saclay (France)
À retenir
Clément Lacouette-Fougère s’interroge sur le rôle que pourraient jouer les évaluations participatives dans la mise en œuvre des politiques éducatives : l’évaluation participative est une forme singulière d’évaluation des politiques publiques, développée dans les années 70 aux États-Unis, qui se différencie des formes plus traditionnelles que sont l’évaluation managériale ou scientifique.
1) Une évaluation peut être considérée comme participative lorsqu’elle implique tout au long du processus d’évaluation des parties prenantes identifiées et sélectionnées qui pèsent sur les constats et les décisions.
2) L’évaluation participative est rare, seules 7 % des évaluations produites en France sont participatives. Cette rareté s’explique notamment par leur caractère long, coûteux et l’incertitude quant à leur capacité à produire des résultats probants. De plus, elles ne correspondent pas à la focale macro et quantitative qui est prépondérante dans le domaine de l’évaluation en éducation.
3) Pourtant, l’évaluation participative pourrait avoir un rôle à jouer dans l’évaluation et la mise en œuvre des politiques publiques. En effet, elle peut contribuer à : 1 – Légitimer le processus d’évaluation et ses résultats auprès des parties prenantes ; 2 – Être un levier d’autonomie et d’apprentissage pour les parties prenantes ; 3 – Être un vecteur d’innovation et d’expérimentation dans des contextes d’incertitudes.