Recommandations
Les 10 recommandations phares du jury
pour mieux accompagner les élèves
Les recommandations ont été rédigées par le jury de la conférence de consensus « De la découverte à l’appropriation des langues vivantes étrangères : comment l’école peut-elle mieux accompagner les élèves ? » qui s’est tenue les 13 et 14 mars 2019 (Lycée Lucie Aubrac, Courbevoie). Ce jury est constitué de 18 acteurs de terrain (enseignants, élèves, parent d’élèves, personnel de direction, conseiller pédagogique, inspecteurs, formateur, représentants d’un campus des métiers et d’une association d’éducation populaire) ; il est présidé par Brigitte Gruson, maître de conférences émérite en didactique des langues et cultures à l’université de Bretagne occidentale.
Face aux difficultés rencontrées par les élèves en langues vivantes, les recommandations visent à éclairer la communauté éducative dans ses pratiques quotidiennes, en prenant appui sur des résultats des évaluations et de la recherche (didactique, psychologie cognitive, linguistique…). Ces recommandations visent à inviter à la généralisation de certaines pratiques bénéfiques qui peuvent déjà exister dans certaines classes et établissements. Elles sont construites autour de 4 axes :
- la progressivité des apprentissages, du primaire à la fin du lycée ;
- une évaluation tournée vers un « droit à l’erreur » et les compétences réelles des élèves ;
- l’augmentation de l’exposition des élèves aux langues ;
- un meilleur accompagnement des enseignants.
Au regard des enjeux et des évaluations des élèves en langues, l’oral apparait comme une priorité. Or, la recherche montre que certaines périodes de la vie sont plus propices à travailler certains aspects de la langue. Il est donc nécessaire de construire un parcours progressif de l’apprentissage de l’oral, tout au long de la scolarité, afin de s’adapter au rythme de développement des élèves et ainsi d’optimiser leurs capacités d’apprentissage. Pour cela, les enseignants devront pouvoir s’appuyer sur une plateforme nationale de ressources pédagogiques regroupant des ressources numériques (vidéo, audio…).
Dès l’école maternelle, se concentrer sur la musicalité des langues
Privilégier la découverte des rythmes, des accents et des intonations grâce à l’écoute et à la répétition de chants et comptines en langues étrangères. À cet âge, selon les résultats de recherches, la capacité des élèves à imiter est maximale et ils sont également plus réceptifs aux intonations. Pour cela, les professeurs des écoles doivent être formés à la phonologie, et la présence d’assistants étrangers à leurs côtés doit être renforcée.
Dès le CP, écouter régulièrement
Entraîner les élèves à la compréhension globale de l’oral en leur faisant écouter la langue de façon très régulière. Les supports utilisés portent sur des sujets proches les uns des autres afin de favoriser leur compréhension du vocabulaire utilisé et donc sa mémorisation.
Dès le CE2, travailler l’expression orale
Développer les compétences d’expression des élèves dans une langue étrangère. À cet âge, la recherche montre que les élèves ont, à la fois, eu le temps de découvrir cette langue et acquis une capacité de raisonnement qui facilite leur capacité à s’exprimer (et non plus seulement à répéter).
Au collège et au lycée, développer des stratégies de compréhension de l’oral
Mettre en place des dispositifs visant à entrainer les élèves à la compréhension de l’oral :
- Avant l’écoute : anticiper à partir du titre, élaborer des hypothèses sur le contenu…
- Pendant l’écoute : décoder, repérer des termes…
- Après l’écoute : réfléchir aux stratégies utilisées pour comprendre.
Aux côtés de la compréhension, le développement de l’interaction orale se fait sur le long cours et repose sur une diversification progressive des procédés mobilisés pour gérer ces interactions (gestion du désaccord, de l’ouverture ou de la clôture d’une conversation, de l’alternance des tours de parole…).
Les instructions officielles insistent sur l’importance du travail en autonomie des élèves et de nombreux dispositifs pédagogiques existent. Pour autant, les recherches montrent qu’il est nécessaire d’accompagner les élèves dans ce processus d’« autonomisation » afin de ne pas exclure les plus fragiles. Cette réflexion autour de l’autonomie de l’élève peut permettre de travailler différentes activités langagières.
Par exemple…
Proposer une écoute différenciée Activités d’écoute autonome, avec guidage pour les élèves les plus fragiles et en autorégulation pour les élèves les plus performants.
Recueillir des propositions d’élèves Création d’un padlet pour que chacun puisse déposer des textes, des vidéos, des fichiers audio ou des images qui pourront être utilisés en classe.
Permettre une interaction Organisation de visioconférences pour faire échanger les élèves avec des locuteurs natifs ou avec d’autres élèves qui apprennent la même langue (eTwinning, tele-tandem®).
Le travail en autonomie doit être pensé dès la création ou le réaménagement des établissements. La salle de classe doit être adaptée et peut, notamment, intégrer des espaces de ressources (accrochage sur panneaux muraux, « coin langues »…).
Les recherches montrent que découvrir plusieurs langues dès le plus jeune âge sera bénéfique, par la suite, à l’apprentissage des langues. L’apprentissage des élèves sera favorisé par la mise en relation des différentes langues qu’ils connaissent (une langue utilisée à la maison, une autre langue vivante apprise…) d’un point de vue lexical, grammatical, phonologique… Ainsi, les enseignants peuvent tirer parti des similitudes qui peuvent exister entre les différentes langues, tant au niveau de leur fonctionnement que de leur lexique.
Pour cela, les enseignants sont amenés à identifier ce qui est spécifique à chaque langue et ce qui leur est commun. Ils encouragent également les élèves à s’appuyer sur une autre langue qu’ils connaissent déjà pour développer des stratégies de compréhension.
Par exemple…
L’intercompréhension En cours d’allemand, un élève pourra s’appuyer sur les similitudes avec l’anglais pour mieux comprendre un texte ou une intervention orale.
De plus, il est important de favoriser une approche interculturelle des langues. Pour dépasser une vision « folklorique » (« les Anglais boivent du thé à 17h », « les Italiens ne mangent que des pizzas »), les enseignants peuvent aborder en priorité les points communs entre les cultures plutôt que leurs différences. Cela peut se traduire par un travail sur des albums traduits en plusieurs langues (des contes traditionnels par exemple). Les enseignants doivent être formés spécifiquement à cette approche interculturelle.
L’approche interculturelle et inter-langues peut également s’appuyer sur les parents d’élèves parlant une ou plusieurs langues étrangères, ou sur des associations culturelles.
Plus que dans toute autre discipline, apprendre une langue vivante engage les élèves dans toutes leurs dimensions : culturelles, relationnelles, émotionnelles, corporelles, cognitives… L’évaluation doit donc prendre en compte l’anxiété liée à l’apprentissage d’une langue, particulièrement chez les adolescents. De plus, la maitrise des langues ne peut se résumer à un seul indicateur de notation, car elle recouvre des compétences multiples : maitrise du lexique, de la grammaire et de la phonologie, capacité à comprendre et à s’exprimer à l’écrit et à l’oral, capacité à se décentrer, à entrer dans une autre culture, à aller à la rencontre de l’autre et interagir avec lui. De ces constats résultent plusieurs orientations :
Reconnaitre un « droit à l’erreur »
Les élèves doivent considérer la classe de langue comme un espace dans lequel ils peuvent faire des essais et se tromper. L’évaluation doit être pensée dans ce cadre. Ainsi, les enseignants sont amenés à identifier ce qui doit être corrigé en priorité et à dédramatiser les erreurs et hésitations. De plus, ils mettent en place des moments où les élèves ne sont pas évalués et développent des temps de co-évaluation et d’auto-évaluation.
Évaluer plus précisément les compétences réelles des jeunes
Au-delà d’une note globale chiffrée, il est important de fournir aux élèves des indicateurs (en compréhension de l’oral, en expression orale…) qui leur précisent ce qu’ils savent et ce qui leur reste à travailler en fonction des objectifs visés.
Par exemple…
Préciser les domaines à travailler Lorsqu’un élève, à l’aise en compréhension de l’écrit, rencontre des difficultés en compréhension de l’oral, l’enseignant peut lui proposer de travailler plus spécifiquement la prononciation des mots qu’il connait à l’écrit pour les reconnaitre à l’oral.
Développer des « évaluations-bilans » tous les trois ans
Pour donner aux élèves des repères sur leur progression, il est nécessaire de proposer une évaluation de leur niveau en langue tous les 3 ans (à chaque fin de cycle). Cette évaluation doit prendre en compte les cinq activités langagières (telles que définies dans le CECRL) : compréhension de l’écrit, compréhension de l’oral, expression écrite, expression orale en continu, expression orale en interaction.
Délivrer, avec le baccalauréat, une certification par activité langagière
Une harmonisation des critères d’évaluation du baccalauréat avec le CECRL doit permettre aux élèves de connaitre précisément leur niveau par activité langagière et de le valoriser dans l’enseignement supérieur ou pour leur insertion professionnelle.
La recherche montre que l’apprentissage d’une langue nécessite d’y être exposé régulièrement. Pour cela, il est possible d’envisager une plus grande flexibilité dans l’organisation du temps scolaire, favorable à l’apprentissage des langues.
À volume horaire constant, le temps scolaire dédié aux langues peut être réorganisé afin d’augmenter la régularité des cours de langues.
Par exemple…
Au primaire, des séances quotidiennes de 20-25 minutes (au lieu de deux de 45 minutes).
Au collège, quatre ou cinq séances de 45 minutes (au lieu de séances d’1h).
Les recherches montrent que les élèves tirent profit d’une exposition massive aux langues étrangères. Pour autant, s’ils sont de plus en plus nombreux à les côtoyer dans leurs pratiques extra-scolaires (vidéos, musique, jeux vidéo…), cela ne se traduit pas nécessairement par des apprentissages. Il est donc nécessaire d’ouvrir plus largement les dispositifs permettant d’amplifier l’exposition aux langues dans le cadre scolaire.
Proposer une autre matière enseignée en langue étrangère
Il est pertinent de développer les dispositifs EMILE (enseignement d’une matière – les SVT ou l’éducation musicale par exemple – par l’intégration d’une langue étrangère), favorables à l’apprentissage de la compréhension et de la production orale ainsi qu’à l’enrichissement du lexique. Les enseignants concernés doivent bénéficier d’une formation de haut niveau pour faire face à la complexité de ce type d’intervention.
Proposer les dispositifs d’exposition renforcée aux langues à tous les élèves
Les dispositifs bi-langues, sections internationales, européennes… favorisent la communication orale (notamment en interaction), enrichissent le lexique et améliorent les compétences cognitives. Actuellement marqué socialement (Cnesco, 2016), leur accès doit donc être ouvert, sur la base du volontariat, à tous les élèves, et non réservé aux élèves les plus performants.
Un séjour à l’étranger constitue une manière d’intensifier la pratique d’une langue et de lui donner tout son sens. En l’inscrivant dans un projet pédagogique, le séjour peut faire progresser les élèves dans leur capacité d’interaction à l’oral. Il est donc pertinent de proposer au maximum d’élèves, notamment ceux qui en auront peu l’occasion dans la sphère privée, d’effectuer un séjour linguistique à l’étranger durant leur scolarité. Un fonds de soutien à la mobilité, au niveau académique, doit permettre de financer les voyages scolaires pour les élèves dont les familles n’en ont pas les moyens.
De même, les dispositifs existants de formation initiale et continue encourageant les enseignants à multiplier les expériences à l’étranger doivent être renforcés. Cette mobilité leur permet de mettre à niveau leurs compétences en langues, mais également de s’approprier des repères culturels afin de se créer une histoire personnelle avec la langue enseignée.
Depuis une trentaine d’années, l’enseignement des langues se fait majoritairement de manière implicite. Il s’appuie sur une utilisation naturelle de la langue telle qu’elle se pratique en dehors de l’école. Selon les recherches, cette approche, bien que pertinente, doit s’articuler progressivement, dès les premières années d’apprentissage, avec un enseignement explicite de la langue étrangère pour être pleinement efficace.
Concrètement, cela signifie que les enseignants, tout en continuant à travailler sur des situations proches de la vie courante, proposent aux élèves :
- des objectifs clairs et un bilan de ce qu’il faut retenir à la fin de chaque cours ;
- des entrainements systématiques et répétés (sur la grammaire, le lexique…) ;
-
des activités de réflexion, en français, sur le fonctionnement de la langue étrangère (analyse des règles grammaticales, construction des mots…) et sur les stratégies des élèves (pour produire un écrit long, pour formuler autrement…).
Pour atteindre le niveau d’ « utilisateur indépendant » visé au baccalauréat, les élèves sont supposés maitriser environ 4 000 mots, qu’ils doivent pour cela, selon certaines recherches, avoir rencontrés entre 7 et 20 fois. Or, une étude sur 36 manuels d’anglais de collège révèle que ces ouvrages emploient plus de 20 000 mots et expressions différents dont seuls 18 % leur sont communs. Par ailleurs, certains mots, parmi les plus fréquents et utiles, n’apparaissent jamais. Il est donc nécessaire de construire un programme d’apprentissage national et structuré du vocabulaire d’une langue (mots et expressions), du primaire au lycée.
Découvrir les mots et les mémoriser
Les enseignants proposent un travail systématique visant à aider les élèves à mémoriser et à consolider le lien entre un mot et son sens.
Par exemple…
Pour les mots concrets Associer le mot « dog » (anglais) ou « perro » (espagnol) à une image de chien. Associer le mot « run » (anglais) ou « laufen » (allemand) à une vidéo de coureur.
Pour les mots concernant les émotions S’appuyer sur des images ou des vidéos montrant des personnes (ou des émoticônes) dans différents états émotionnels.
Consolider un « réseau lexical »
Les enseignants proposent aux élèves la découverte de nouveaux mots en contexte et des expressions usuelles (it’s raining cats and dogs), de manière répétée et espacée dans le temps. Pour cela, ils privilégient la lecture extensive (textes longs, romans) et l’écoute extensive (films, séries). Enfin, les enseignants incitent les élèves à utiliser ces nouveaux mots pour communiquer.
Dans le 1er degré, les professeurs des écoles doivent enseigner une langue vivante étrangère sans y être suffisamment préparés en formation initiale comme en formation continue. Le concours d’entrée ne prévoit plus, actuellement, aucune épreuve de langue. La création d’une « option langues » au concours devrait permettre de pallier ce manque.
Dans le 2nd degré, la création d’une « option langues » dans les concours de recrutement doit permettre de valoriser les compétences des enseignants des autres disciplines et, ainsi, d’assurer un vivier pour l’enseignement d’une matière dans une langue étrangère.
La formation doit s’appuyer davantage sur le vécu des enseignants pour les amener à déconstruire leurs croyances autour de la langue qu’ils auront à enseigner et pour favoriser une pratique réflexive. La formation doit également être reliée de façon plus systématique aux résultats de la recherche. Cette double approche devrait notamment permettre de faire évoluer la posture des enseignants sur la place et le traitement de l’erreur en cours de langues.