Thème 2 - Pourquoi et dans quelles conditions considérer les pratiques numériques des jeunes pour penser les contenus à travailler avec les élèves ?

Comment la présence des outils numériques dans la vie quotidienne des élèves influe-t-elle sur leur éducation au numérique ?

Jean-François Cerisier, université de Poitiers

À retenir

Jean-François Cerisier part du constat que les pratiques numériques des jeunes sont, pour l’essentiel, hors du contrôle et de la vue des adultes. Il s’interroge donc sur l’influence de ces pratiques dans l’éducation au numérique.

  • Les pratiques numériques informelles des jeunes sont opportunistes, elles ne sont ni intentionnelles, ni déléguées à une autorité, elles ne répondent pas à un curriculum. Pour autant, elles jouent un rôle crucial dans les apprentissages des élèves et occupent une place qui n’est pas nécessairement reconnue à l’école.

  • La vision de la place du numérique à l’école a fortement évoluée depuis 1990 : 1990 marque un tournant, puisqu’une étude révèle que les enfants s’approprient le numérique non pas à l’école, mais à l’extérieur de l’école. En 2010, une nouvelle étude montre que les enfants associent le numérique à l’école, mais qu’ils sont réticents à sa scolarisation, parce qu’ils estiment que le numérique est une façon de reconquérir des espaces personnels, hors du contrôle des adultes. En 2017, la même étude montre que les élèves n’associent plus le numérique à l’école ; pour eux, c’est une dimension invisible de l’école (hypothèse : le numérique est dans leur vie, ils ne l’associent plus à rien). Aujourd’hui, l’école connaît une phase de crainte et de repli (expérimentation de la « pause numérique » au collège).
  • Les pratiques numériques informelles des jeunes sont diversifiées et socialement corrélées : elles sont corrélées avec l’âge (jusqu’au primaire, pratiques récréatives, diversification à partir du collège, comme la recherche d’information ou des pratiques créatives) ; elles évoluent très rapidement (liées aux technologies qui changent et la place qu’elles prennent dans nos vies) ; elles sont diversifiées et ne sont pas qu’une simple utilisation des réseaux sociaux ; elles sont corrélées aux déterminants sociaux (correspondent aux contextes familiaux, à l’accompagnement et la nature des pratiques des parents) ; elles sont expérientielles, peu accompagnées (même dans les familles socialement favorisées).


Comment la compréhension des pratiques informationnelles des jeunes peut-elle contribuer à leur éducation aux médias et à l’information ?

Gilles Sahut, université de Toulouse 2

À retenir

Gilles Sahut centre son propos sur les pratiques informationnelles non formelles, celles qui ne sont pas liées aux tâches scolaires, et lie ces pratiques non formelles avec l’éducation aux médias et à l’information (EMI) qui a été instituée par l’école :

  • Les adolescents ont un intérêt à s’informer et utilisent pour cela une diversité de supports et médias auxquels ils accèdent selon différentes modalités :

– la télévision garde une place importante dans les pratiques informationnelles, toutefois, il y a une progressive émancipation des jeunes qui passent par l’utilisation des réseaux sociaux ;

– ils accèdent à l’information selon trois modalités : une exposition fortuite ; l’information à la carte ; la recherche via Google. Ils ont un certain plaisir à s’informer sur leurs centres d’intérêt, mais sont plus ambivalents concernant l’actualité ;

– ils ont conscience de l’importance de l’information pour leur avenir, mais ils considèrent les formats classiques comme répétitifs, ennuyeux, déconnectés de leur propre réalité/de leur vie quotidienne, voire anxiogènes.

  • Les adolescents ont conscience des problématiques de leurs pratiques informationnelles, mais :

– s’ils sont préoccupés par le manque d’exactitude possible de l’information en ligne, dans la pratique, ils évaluent cette exactitude de manière très superficielle, en particulier dans les situations non scolaires ;

– s’ils ont conscience de l’existence d’algorithmes, leur connaissance sur le sujet reste très liée à l’usage d’un réseau social donné. Dans l’ensemble ils sont plutôt satisfaits des choix informationnels qui sont faits par ces algorithmes, notamment parce que ça leur évite de faire l’effort d’aller chercher l’information.

  • Il existe des différences intragénérationnelles et des inégalités socio-économiques dans les pratiques informationnelles sur l’actualité : les 12-14 ans ont des pratiques limitées par l’école et la famille ; chez les 15-17 ans, il y a une diminution de l’influence parentale alors que celle des pairs devient prédominante ; chez les 18-20 ans, les pratiques informationnelles se stabilisent, il y a une affirmation de centres d’intérêts spécifiques. Il existe également des différences de pratiques informationnelles majeures entre les jeunes issus des milieux populaires et ceux issus des milieux favorisés.


En quoi les intelligences artificielles génératives représentent-elles un enjeu dans la formation des citoyens ?

Pierre-Yves Oudeyer, Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), université de Bordeaux

À retenir

Pierre-Yves Oudeyer s’intéresse aux enjeux sociétaux et éducatifs de l’intelligence artificielle (IA) :

  • L’IA est utilisée par la quasi-majorité des adolescents en France, qui connaissent pour autant peu son évolution et son fonctionnement : de ses prémices en 1912, à l’émergence récente de l’IA générative ou IAGens (ex. ChatGPT), l’IA ne cesse d’évoluer et est aujourd’hui massivement utilisée : en France, 70 % des 14-18 ans utilisent des IAGens (47 % des 25-34 ans et 22 % des plus de 35 ans). Quand les élèves ont commencé à utiliser ChatGPT, ils ont une forte tendance à ne plus utiliser de moteurs de recherche.

  • Les IAGens sont avant tout des technologies de transmission culturelle : lorsque les jeunes utilisent ces outils pour accéder à la connaissance et à l’information, ils ont une vision du monde qui va correspondre à la culture des textes qui ont été utilisés pour entraîner les outils. Les jeunes doivent donc avoir conscience / doivent comprendre, les erreurs et les hallucinations, les biais et les stéréotypes possibles des IAGen pour en faire une bonne utilisation.
  • Il y a un usage massif et très rapide des IAGen par les élèves, sur lequel la recherche n’a pas encore suffisamment de recul. Néanmoins, quelques premiers résultats montrent qu’un certain nombre d’usages se développent, qui peuvent être problématiques (par ex. les élèves qui utilisent ChatGPT pour faire leurs devoirs à leur place ; les enseignants pour noter les productions écrites des élèves), ou intéressants (réviser avec des quizz, former les enseignants, leur permettre de créer du contenu, etc.), mais à évaluer. Ces études se sont notamment demandées si les élèves savent poser les bonnes questions à ChatGPT : elles révèlent que 1/ ceux ayant une métacognition élevée ont de meilleurs résultats ; et 2/ ceux qui disent bien connaitre l’outil (ses forces/limites) ont de moins bons résultats (sur-confiants).